Low tech, industrie circulaire, écoconception, RSE…, le techno-discernement des entreprises devient incontournable pour contribuer à l’avenir bas carbone et écoresponsable des filières économiques. Dans quelle mesure les entreprises s’emparent-elles de ce changement de modèle ?

Une conférence organisée par ADI N-A à l’issue de son Assemblée Générale, le 8 avril 2022.

Parole à Philippe BIHOUIX, Directeur de l’AREP

Philippe BIHOUIX a travaillé comme ingénieur-conseil ou dirigeant dans différents secteurs industriels avant de rejoindre le groupe AREP. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la question des ressources non renouvelables et des enjeux technologiques associés, en particulier « L’âge des low tech – Vers une civilisation techniquement soutenable » et « Le bonheur était pour demain – Les rêveries d’un ingénieur solitaire ».

« La crise de la Covid-19 a fait émerger des réponses très high-tech (vaccins, robots de désinfection ou de livraison) mais aussi pour 99% très low-tech car comportementales (rester chez soi, se moucher dans son coude, fabriquer des masques en tissu). La résilience est certainement venue de cette hybridation entre high-tech et low-tech.

Sans être technophobe, on peut être prudent avec la course en avant high-tech, et ce pour 3 raisons :

  1. Les ressources – Les nouveaux besoins de stockage d’énergie nécessitent d’accélérer (x2 à x30) l’extraction des métaux. Or pour obtenir 1 T de cuivre, on doit maintenant extraire 200 T de minerai là où il suffisait autrefois d’en extraire 50 T. Il y a un impact de plus en plus grand sur l’environnement mais aussi sur la consommation d’énergie. Alors on peut se dire que les métaux ne sont pas brûlés et qu’ils peuvent donc se recycler. Le problème c’est l’enrichissement technologique de nos objets, avec des alliages de dizaines de métaux différents, et des usages dispersifs (engrais dans les sols, colorants). 30 des 60 métaux utilisés à l’échelle mondiale sont recyclés à 0%. L’enrichissement technologique nous éloigne de l’économie circulaire au lieu de nous en approcher. Il nous rend aussi d’autant plus dépendant de chaines de valeur mondiales.
  2. L’effet système – Pour installer la voiture autonome ou la smart city par exemple, il faut installer une infrastructure télécom et digitale (data center). C’est le rapport coût/bénéfice environnemental de ce système global qu’il faut évaluer. L’impact de l’infrastructure numérique au niveau mondial, c’est plus que le transport aérien avant la Covid, de l’ordre de 1 milliard de T de CO2, et ça croit assez vite !
  3. L’effet rebond – Il est défini par l’économiste Jevons vers 1860, quand le Royaume-Uni produisait la moitié du charbon mondial et exportait beaucoup. Les progrès des machines à vapeur ne permirent pas d’écarter le risque d’une pénurie de charbon car elles devinrent moins chères donc plus nombreuses. L’efficacité énergétique est facteur de compétitivité, c’est toute la trajectoire technologique de l’humanité. Mais avec elle, l’offre devient moins chère, créant de la demande et augmentant la facture globale.

La low-tech, c’est produire des choses ou des services en baissant la facture environnementale. Il n’y a pas d’un côté les objets high-tech et de l’autre les low-tech. C’est une question de démarche. Il faut se poser 3 questions : pourquoi, quoi et comment ?

  • Pourquoi produire ? On peut dire qu’on est dans une forme d’ébriété dans notre consommation d’énergie et de ressources. Il y a beaucoup de chose à faire en matière de sobriété, le mot n’est plus tabou (stratégie nationale bas carbone, rapport RTE). Avant de passer au vélo, on peut rouler avec des voitures plus petites et moins puissantes. On pourrait aussi construire moins, tout simplement, et intensifier l’usage de l’existant.
  • Ensuite, produire quoi ? Il faut pousser l’écoconception dans une logique de recyclabilité mais aussi de réparabilité, de réutilisation. Rentrer dans un âge de la maintenance, du prendre soin.
  • Troisième question, celle du techno-discernement. Comment produire ? Chaque ressource extraite ne sera pas disponible pour les générations futures. Alors que la high-tech dans les usines se justifie, il faudrait que nos objets se désenrichissent quand ça n’est pas nécessaire. L’exemple du distributeur de croquettes pour chat connecté avec dispositif de reconnaissance faciale est éloquent…

Alors il faut continuer à innover mais les solutions ne sont pas que techniques, elles sont socio-techniques, sociales, sociétales, culturelles, organisationnelles. Le retour de la consigne dans les emballages par exemple, nécessite de repenser le modèle économique et c’est beaucoup plus compliqué.

La puissance publique peut intervenir à différentes échelles : nationale et européenne pour les aspects réglementaires ou fiscaux (incitation à réparer ou recycler), locale pour le soutien aux filières. On peut imaginer une articulation territoriale avec de l’agro-écologie plus riche en emploi, des micro-ateliers de fabrication ou de réparation des produits du quotidien. »

Témoignage de MATERRUP (Saint-Geours-de-Maremne, 40)

Julie FORT NEUVILLE, Communication, marketing et image de marque – Associée & Manuel MERCÉ, Directeur Industrie

« 8% des émissions mondiales de CO2 sont dues au béton. Materrup propose une solution de rupture : du ciment à base d’argile crue pour fabriquer un béton durable et bas carbone en circuit court avec les mêmes performances et le même emploi qu’un béton classique. On peut parler de sobriété à la fabrication (pas de cuisson) et dans l’ensemble du cycle de vie (extraction, production et distribution locales dans les Landes). La création d’une nouvelle unité est prévue sur le bassin bordelais. Ce béton est utilisable immédiatement par les circuits actuels du BTP. »

Philippe BIHOUIX > « On ne va pas pouvoir tout éco-construire en bois. Il faut aller chercher tout une palette de solutions : construction terre, bois, ciment écoconçu comme celui-ci. »

Témoignage de l’ESTIA (Bidart, 64)

Dr Iban LIZARRALDE, Enseignant Chercheur & Léa GRAU, Étudiante en double diplôme à l’Université de Wolverhampton

« Dès la première année, des modules sur la transition socio-écologique sont proposés, puis en troisième année, une réflexion sur l’ingénieur responsable. C’est quoi être ingénieur demain ? Où vais-je travailler et avec quelles valeurs ? Un apport de sens qui génère de la motivation… »

Philippe BIHOUIX > « L’« engigneor» au XVe siècle s’occupait des engins de guerre, puis plus tard des machines. Loin de là, il y a aujourd’hui une envie énorme de se préoccuper des questions environnementale et sociétales. »

Témoignage de CDN | MyGroom ® (Valdivienne, 86)

Sébastien NOMINÉ, Dirigeant

« CDN a conçu une machine permettant de laver les couvertures des chevaux et d’entretenir les cuirs. C’est un produit économe en énergie, sans électronique et très fiables dans la durée. En complément, elle a développé un séchoir avec des ventilateurs de récupération et a aussi embauché des celliers harnacheurs pour réparer les produits entretenus. Au-delà du marché équestre, le système est maintenant utilisé pour entretenir des équipements de pompiers, du matériel de plongée ou encore de moto-cross. »

Philippe BIHOUIX > « En conclusion, évoquons la notion de « shifting baseline » (décalage du point de référence) inventée par le scientifique Daniel Pauly. Il a montré que chaque auteur d’un référentiel de calcul des quotas de pêche se basait sur l’état des stocks au début de sa carrière. Ce décalage fonctionne dans tous les domaines. Cela montre que l’être humain a une capacité d’oubli et d’adaptation importante. On peut donc se projeter dans 50 ans mais c’est important de s’engager dès maintenant dans cette transition ! »